Langage musical de Jean-Pascal Alagna: la musique spectrale et lui.
C'est en explorant le silence, non comme une fiction, mais comme une condition d'apparition et de disparition du son qu'il aborde dès 1987, un nouveau continent musical. Le coup d'envoi avait déjà été donné par George Russell dans Listen to the silence. qui ouvre ainsi Listen to the silence, a mass for our time (1983), par cette parole:
Listen to the silence
in order to achieve metanoia.
Metanoia is a state of changes
which enables one to evolve
above and beyond the complexe of the world. (inspired from Rainer Maria Rilke Duino Elegy).
Comme John Cage qui découvrit le principe d'indétermination,qui l'oblige à considérer que les déterminations qui lui sont prescrites de l'extérieur risquent de la mutiler, Jean-Pascal Alagna intègra l'électroacoustique dans une démarche où, comme pour les tenants de l'école indéterministe, l'oeuvre musicale doit cesser dans sa cloture d'objet (work in progress).
Cependant,en 1988 ,l'étude de la musique traitée en temps réel avec Pascal Gobin lui révèla les profondes différences entre les tenants de la musique contemporaine spectrale et sa pensée propre: En effet, pour lui, ce ne sont pas les données proprioceptives de l'audition (la hauteur, la durée ,l'intensité et surtout le timbre chez les spectraux) qui sont les composantes de l'acte créatif , mais bien les archétypes tels que Jung les a pressentis. Il répond ici à la dé-sémantisation amorcée, voulue et recherchée par John Cage. C'est en cela que sa démarche est post-cagienne dans la mesure où il tire de ce silence qui précède l'écoute réduite et/ou non-intentionnelle , le moyen de laisser l'oeuvre surgir, découler sans intervenir sur le processus mais uniquement en l'orientant,en le dirigeant tout en n'imposant pas sa propre vision poétique comme le faisait John Cage, mais en laissant l'oeuvre elle-même se nicher dans les recoins de l'inconscient
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Ainsi en tant que premier auditeur de l'oeuvre en train de surgir, il en capte le geste par une écriture non conceptuelle (comme chez Morton Feldman ) mais ne s'éternise pas dans un mouvement non résolu. Bien au contraire il essaye de susciter les conditions pour que le geste soit renouvelé dans toutes ses potentialités et virtualités. C'est ainsi qu'Out of nowhere, { c'est à dire Hors de Nulle Part)- comme le générique d' un standard de jazz -. émerge l'oeuvre in fine faite de toutes les "chances" , au sens de "chéance" qui se sont accumulées successivement lors du travail de composition qui peut faire appel à plusieurs modes de notation différents, voire de plusieurs langages ou époques différentes . On peut ainsi comprendre , en effet que le silence musical n'est pas un repos , mais un possible. Dès 1993 dans sa pièce intitulée Si le Grain ne meurt , il introduit la notion de Tacet qui permet au musicien de jouer ou de ne pas jouer ce qui est écrit. Une autre oeuvre dans son parcours reste comme un point indépassable de recherche du timbre à la limite entre le son et le non-son c'est Palimpseste, (proposée en écoute gratuite sur ce site article Parcours musical de Jean-Pascal ALAGNA) qu'il présente au Centre Acanthes de la Chartreuse à Villeneuve les Avignon durant l'été 1994. Cette mention de Tacet permet ainsi d'avoir autant de réalisations différentes de la même pièce qu'il y a de formations musicales pour l' interpréter. C'est ainsi qu'il renouvelle totalement la notion d'interpretation en lui restituant ses potentialités multiples . Cependant souvent l'interprete devra faire l'effort d'interpréter l'oeuvre écrite en scordatura (nouvel accordage). Si, dans un premier temps la musique de Jean-Pascal Alagna appartient au courant des musiques indéterminées (Cage, Earl Browne, Morton Feldman, Christian Wolff), dans un second temps donc, la détermination de l'oeuvre s'opère elle-même par le mécanisme d'audition propre à l'auditeur qui recompose pour ainsi dire l'oeuvre selon ses propres critères de réception sonore dans un contexte sonorisé par l'interprète entrant en résonance avec les propriétés acoustiques du lieu. C'est pourquoi cette oeuvre échappe à l'ère acousmatique , et plonge ses racines dans la musique de l'Histoire dont les chocs s'illustrent acoustiquement sous la plume de Jean-Pascal ALAGNA.
Par l'étude de l'Histoire de la Musique qui se déroule en vis à vis, Jean-Pascal ALAGNA se rend compte que l'opposition entre composition et improvisation s'amenuise au fur et à mesure qu'il redonne aux modèles et aux archétypes premiers (tels que Raymond Murray Schaefer, les a redéfinis dans Le Paysage sonore et avec qui il collabore à Paris en 1996 ),leur place en art . Dès 1994,partant d'un constat d'enfermement des musiciens dans des "à la manière de" , il a choisi de retrouver l'indispensable, l'essentiel . Car il croit en une unité de l'art antérieure à l'allégorie qu'il situe dans une perfection humano-divine ritualisée seule capable de rétablir les pratiques artistiques en une unité réconciliée: la musique avec la vibration, la plastique avec la forme, la poétique avec le signe gravé et la chorégraphique avec le mouvement corporel .S'il doit rééquilibrer son langage personnel, pour atteindre l' universel , c'est que sa pensée est post-naturaliste, en ce sens que ce ne sont pas d'abord les éléments du discours (mélodie, harmonie classique) qui lui paraissent significatifs mais plutôt la pratique musicale entendue elle-même comme oeuvre du peuple qui se traduit en grec par leitourgia. C'est pourquoi il se lance dans l'étude de la musique liturgique en devenant organiste dès l'année 2001... et c'est ce qu'il finit par formaliser par écrit, en 2009, dans son mémoire La Musique et le Rite, quelques aperçus sur la symbolique musicale . toutefois il se rend alors compte de la grave crise que traverse l'Eglise actuelle en proposant des chants profanes et liturgiques qui préfèrent puiser dans la voix du peuple plutôt que de reconnaître qu'elle a besoin d'un renouveau de son langage musical qui soit accessible.
A nouveau dans l'impasse entre l'improvisation spontanée non directive et composition écrite où tout est contrôlé, il cherche à nouveau non plus du coté de la résonance mais dans l'intention graphique qui a précédé le geste musical de tout temps . Il étudie alors la théologie puis la philosophie esthétique , et découvre l'essence vibratoire de la musique qui est au-delà des temps et des époques d'après une structure hors-temps déjà pressentie par Iannis Xenakis (Musiques Formelles) mais qui lui est révélée par la clé hébraïque de David . Son langage qui emprunte nécessairement à l'improvisation écrite autant qu'aux dispositifs de spatialisation , dont le résultat final n'est que l'écorce sonore,possède des racines qui résonnent depuis la musique symphonique , la musique russe, l'école néo-classique européenne comme à diverses aires ethniques et folkloriques, et révolutionnant les catégories guindées et technicistes de la musique contemporaine, il renouvelle la chanson française (et les autres genres) depuis ses sources poétiques , tout en en proposant un déchiffrement depuis l'archétype , qui via la bribe, le mythe, voire la légende , le conte jusqu'à la réalisation graphique de partitions, n'excluant rien que l'encombrant mais remontant à la confluence du nouveau et de l'ancien, de l' aujourd'hui et du toujours, de la cybernétique et du sacré.
jeanpaulde.topaze@copyright 2018
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